J'ai eu ce matin une petite discussion passionnante avec une collègue de travail. Celle-ci se plaignait qu'un de ses collaborateurs qui partait en retraite ne serait pas remplacé et qu'elle serait donc obligée d'assurer les missions du futur retraité en plus de ses propres activités. Il faut dire que de nos jours, le non-remplacement des départs en retraite est devenu la règle dans la plupart de nos chères entreprises : toujours le petit sou supplémentaire de bénéfice ou de réduction des prix de revient. Que voulez-vous, c'est la règle, on vit dans un monde merveilleux.
Quelques minutes après cette chère collègue me ventait les mérites d'une enseigne bien connue de la grande distribution qui prétend vendre toujours moins cher et à des prix plus bas que bas : les rois du prix bas, écrasé, laminé, les princes de la remise et du prix cassé, les meilleurs quoi dans l'esprit d'une consommatrice avertie. Je me suis fait alors le plaisir de faire remarquer à ma collègue, que pour obtenir des prix aussi bas, il fallait que cette enseigne pressure à n'en plus finir leur fournisseur, qui eux-mêmes pour réduire leur prix de revient en arrivaient à ne plus remplacer les collaborateurs qui ont la bonne idée de prendre leur retraite (voir de licencier, ceux qui ne peuvent pas la prendre). Et voilà la boucle est bouclée : ma chère collègue se fait plaisir une heure par jour dans son super -hyper - méga marché à rêver devant des prix extraordinairement bas, alors que pendant 8 à 10 heures par jour elle aura travaillé sous pression et dans le stress pour remplacer ses collaborateurs absents, licenciés ou retraités, afin d'obtenir ces fameux prix bas qui sont paraît-il la clef du bonheur en ce monde ! Je le dis, je le répète, on vit vraiment dans un monde merveilleux !
Personnellement, ce système m'inspire une vocation de déserteur. Ce cercle vicieux m'affole et me désespère. J'ai décidé de sortir de la boucle : je ne travaille plus qu'à mi-temps (tant pis pour mes collègues qui devront assurer mon boulot), mes revenus ont baissé de moitié, je consomme moitié moins, mais par contre quel bonheur ! Quel bonheur ! finis la pression, le stress, les procédures compliquées, les règlements tatillons, les objectifs impossibles à atteindre, les plans d'action démesurés pour essayer de gratter le dernier centime d'euros, les résultats à atteindre, jamais atteints et qu'il faudra quand même atteindre ! et toujours en ligne de mire ce fameux cash flow qu'il faut obtenir, véritable veau d'or des temps modernes que tout un chacun se doit d'adorer. Quel bonheur !
Je sais que je ne suis pas le seul à penser cela. Ainsi, un de mes amis, artiste peintre de profession, a fait le choix de se consacrer entièrement à sa passion, d'en faire son métier, autant qu'on puisse parler de métier pour un artiste. Qui plus est, il a fait le choix de renoncer aux canons de la mode en matière de peinture. Il aurait pu faire comme beaucoup, peindre ce qui plait : l'abstrait, le choquant, le provocateur, l'érotique. Non, il a fait le choix d'une peinture sobre, douce, expressive, une peinture qui sait encore jouer avec les sentiments, avec les jeux de lumière, les ombres, une peinture qui parle à notre âme. J'aime ses tableaux issus de sa mémoire profonde et je vous en parlerais. Il a fait un choix non commercial. Certes, il vit de peu, mais au moins il éprouve l'immense satisfaction de ne pas se coucher devant les injonctions de notre société et d'être un homme libre, et ça, cela n'a pas de prix.
Je vais vous le répéter une fois de plus : on vit dans un monde merveilleux ... à condition de pouvoir en sortir.